Libération de Wettolsheim (1945)

 

 

 

1er février 1945

 

Un ancien du 2ième escadron.

 

 

 

Le dégel a transformé la plaine d’Alsace en un vaste bourbier, coupé de rivières en crue. Une dépression fait soudain remonter le thermomètre à deux ou trois degrés la glace sous les chenilles de nos blindés ont transformé les routes en patinoire. Les gelées nocturnes ne parviennent plus à solidifier le sol de façon permanente. Le dégel arrive avec et avec lui la boue. Nous ne sommes plus que neuf chars à l’escadron. Nous partons nettoyer les bois qui séparent Houssen de Neuf-Brisach.

 

Dés notre arrivée dans les bois, nous sommes pris sous des rafales d’armes automatiques. Aussitôt branle-bas de combat. Nous ouvrons le feu sur tout ce qui bouge. Des soldats se jettent dans la neige à plat ventre et font des signes désespérés, ils ne sont pas armés et se rendent. Ce sont quelques postes avancées qui se trouvent là.

 

C’était un des premiers combats importants depuis notre départ d’Orbey. Prises dans une nasse ces troupes ennemies avancées étaient épaulées sur leurs arrière par tout un corps d’armée. Elles essayent de sortir de l’étau qui se resserre chaque jour davantage. Certains secteurs sont protégés que par quelques points d’appui faiblement tenus. Nous faisons des prisonniers.

 

Tir de chars à grande distance sur des axes précis où plusieurs camions ennemis son détruits. Vers 18h00, nous sommes relevés par les américains. Nous remontons vers 20h00 sur Bishwihr au milieu de la nuit et prenons position près d’Ostheim en venant vers la poche de Colmar par le Nord.

 

2 février 1945

 

06h30 : nous démarrons pour attaquer Colmar. Nous devons traverser la rivière de l’Ill à la hauteur d’Ostheim pour être en place avant le jour au Nord d’Houssen, face à Colmar.

 

Nous ne disposons plus que de 23 chars au régiment auxquels s’ajoutent des légionnaires du RMLE qui constituent notre infanterie d’accompagnement et de cinq chars destroyers du 1er régiement de chasseurs d’Afrique.

 

Nous nous infiltons vers l’ensemble de bois et de bosquets qui se situe entre la rivière la Fecht et la voie ferrée. Vers 01h30 notre char de tête se heurte à un fossé anti-char faiblement battu par le feu de l’ennemi, mais infranchissable sans bulldozers, d’ailleurs aussitôt réclamés. Il y a des champs de mines partout. Le tracé à faire suivre aux chenilles à travers les mines reconnues et les mines supposées, est étudié avec soin.

 

Enfin notre lieutenant découvre en se rapprochant de la route nationale 83, un chemin de terre longeant des excavations pleines d’eau d’une gravière qui conduit par les quartiers d’artillerie derrière des barricades et obstacles. Tout autour de nous c’est l’horreur : de nombreux cadavres de fontassins américain sont couchés dans des poses grotesques, comme momifiés. Il y en a un qui n’a pas pu franchir un abri contre un mur, une rafale a du le cueillir avant qu’il n’y arrive.

 

Nous redémarrons et nous nous infiltrons avec l’aide des légionnaires le long des casernes et débouchons sur la nationale 83. La réaction ennemie est à peu près nulle. Nous ne sommes probablement pas attendus de ce côté-ci. L’ennemi est surpris mais il réagit aussitôt, embusqué entre les portes cochères au coin des rues. Notre infanterie se heurte à une vigoureuse résistance ennemie à base de bazookas et de snipers tirant à partir des soupiraux des caves et des lucarnes des toits.

 

Aussitôt les fantassins bondissent des plates-formes de nos chars ainsi que des half-tracks en cherchant un abri le long des maisons, plusieurs d’entre eux tombent. La situation dans les rues devient intenable, sauf pour les équipages des chars qui tous volets fermés, criblent de leurs feux de mitrailleuses les fenêtres et ouvertures suspectes. Nous déplorons la perte d’un de nos char et de deux hommes d’équipage qui sont blessés, un sous-officier infirmier, malgré son brassard de la Croix-Rouge, est tué à bout portant en secourant des blessés.

 

En prenant par une transversale, nous débouchons sur la place Rapp ou nous prenons à partie un groupe ennemi. Nous avons un sérieux accrochage vers 11h30 du côté de la caserne Walter, tandis que derrière nous un autre sous-groupement nettoie la partie Nord-Est ou les combats font rage.

 

Continuant notre progression, nous arrivons près de la gare à toute vitesse. En passant sur la voie ferrée, j’ai une vive émotion. Un ennemi armé d’un « panzerfaust » sort brusquement d’une porte cochère, se met en équilibre sur ses jambes et sans hésiter tire dans notre direction. Etant le char de tête j’ai vu la mort arriver de face, mais heureusement son tir étant extrêmement distant il n’eut aucune efficacité. Je n’ai vu qu’une immense flamme rouge enveloppant notre char et entendu le bruit des éclats d’acier venant s’écraser sur le blindage. Ouf ! J’ai bien cru ma dernière heure arrivée. Le char suivant a eu le réflexe et la main lourde, et quand le coup de l’autre est partis, la riposte a joué en une fraction de seconde.

 

Enfin, ayant passé le pont du chemin de fer, nous atteignons notre objectif final près de la cité des Vosges sur la route de Wintzenheim ou l’on s’installe en bouchont après avoir récupéré un canon, détruit deux camions et fait plusieurs prisonniers.

 

A 16h30, nous rentrons dans le village de Wettolsheim où nous chassons les dernières troupes ennemies qui vont se réfugier sur les premières pentes des Vosges. C’est avec une joie délirante que nous sommes accueillis par la population.

 

Depuis notre débarquement, nous n’avions plus couché dans de bons draps frais. On nous à gavé de mets succulents, et on nous arrose de vin d’Alsace.

 

De partout l’ennemi craque. Nos troupes ratissent toutes les vallées vosgienne ou se traîne encore une des unités ennemies fortement morcelées. 20 000 prisonniers restent entre nos mains, c’est un tableau déchirant qui passe devant nous dans une résignation tragique. Après avoir atteint les premiers contreforts des Vosges, notre épopées n’était pas encore terminée puisque deux mois de combats nous séparaient encore de la fin des hostilités.

 

Nos soldats partis d’Alger, d’Oran, de Bône, de Bizerte et de Casablanca, avaient encore devant eux deux mois de marche forcée, de colonnes roulantes dans la boue et la neige et d’attaques meurtrières. Encore deux mois de baroud, de manœuvres, de fatigues, de charges d’escadrons blindés contre un ennemi aux abois, toujours solide et courageux. Un ennemi qui allait défendre son territoire jusqu’à la mort. (…..)

 

(En mémoire à nos soldats).

 

 

 

Paul BARTHELEME.