Mon grand père 11 nov 1918 ver 22-10-2018 10h10

 

L’Histoire est écrite par les Historiens, mais elle vécue dans leur chaire par les Hommes.

 

En mémoire à mon grand-père (Henri Strubel « 2 » 1898-1983) et à tous les soldats de la grande guerre.

 

Pour le centenaire (nov 1918 – nov 2018)

 

 

 

Site du cercle de généalogie et d’histoire de Wettolsheim

 

https://cghw.jimdofree.com

 

 

 

Mon grand-père vers la fin de l'année 1918 à l'autre bout du monde à l'époque,

 

du côté de Minsk, actuelle capitale de la Biélorussie et à proximité de la rivière Bérézina.

 

 

 

Anecdote:

 

Je me rappelle très bien le 11 novembre 1977 l'année de mes 20 ans, mon père m'a raconté que mon grand-père Henri quelques jours avant l'armistice du 11 novembre 1918, avait été appelé par le chef de poste du secteur de son cantonnement. C’est un matin comme tous les autres. Il y va légèrement agacé, car comme tous les jours, il y avait fort à faire, et personne pour vraiment l’aider.

 

Il se laissa un peu aller, c’est alors une belle journée de fin d’automne qui s’annonce. Les flaques d’eau se parent d’un petit cristal, l’annonce de l’hiver sûrement. Les oies sauvages partent en formation vers des lieux plus cléments. Les arbres laissent au vent le soin de disperser leur parure chamarrée de la saison. Les feuilles qui virevoltent sont rouges sous la brise qui vous pénètre déjà de ses dars, et il frissonne.

 

Il avait obtenu sa permission de repos à l'arrière des lignes et comptait bien profiter de ces quelques jours de repos bien mérités, il était un brin songeur en se demandant qui allait donc bien s’occuper de ses malades.

 

En prenant le train pour remonter vers le quartier général allemand, il est chargé du transport d'un officier Russe pour être jugé par le tribunal militaire ce qui devrait le mener à être fusillé par la suite…

 

Lors du transport dans un wagon à bestiaux, il fait signe au prisonnier de sauter du train en marche. Il lui répond en français « Non », sous prétexte qu’il allait en profiter pour lui tirer dessus !

 

Henri pose son fusil et lui dit de se dépêcher de partir comme la gare s'approche, et lui fait comprendre qu’il n'avait pas l'intention de lui faire du mal.

 

Enfin le prisonnier se décide et saute dans les taillis denses  à cet endroit de la voie sans être vu.

 

A l'arrivée  le commandant de la place le condamne au même sort que devait subir son prisonnier.

 

Mais l'armistice venait d'être proclamée quelques heures plus tôt.

 

Il lui dit « Strubel, tu es infirmier ! Tu retournes sur le front pour accompagner les malades et blessés » (À ce moment-là, les Russes arrivent et ne font pas de prisonniers….).

 

Ironie du sort:

 

Le convoi prend la route difficilement, chevaux et charrettes pleines de blessés se muant difficilement à travers la steppe (les valides avaient tout emporté comme les blessées n'avaient aucune chance de survivre)

 

La population est bienveillante et ne freine pas outre mesure le convoi. L’infirmier soigne tout le monde, les habitants aussi. L’autre jour il avait sauvé la délivrance de l’épouse du chef de clan du village lors d’un accouchement difficile (c’était un garçon « Alexay-Henri » futur soldat lui aussi)…

 

Le convoi est organisé de bric et de broc, avance donc avec tout ce qui pouvait rouler et emporter un blessé.

 

(Vieux chevaux, ânes, tombereaux, charrettes, carrioles, ....)

 

Malheureusement après quelques jours de trajet pénible en direction de l’Allemagne, la troupe Russe les rejoint et leur sort parait alors tout tracé.

 

Mais l'officier commandant la cohorte est le fameux prisonnier Russe relâché.

 

Les soldats cosaques escortent alors le convoi pendant des jours, leur fournissant vivres et autres nécessités, proposant même des chevaux et chariots pour accélérer le pénible retour jusqu’à l’arrivée aux positions allemandes. 

 

Pendant ce difficile retour l'officier interpelle alors mon grand-père et lui dit "Merci".

 

Mais ce n'est pas tout, lors de leur longue marche ils allaient aussi traverser la rivière Bérézina.

 

Cette petite histoire rencontre alors la grande Histoire au travers d’une traversée, celle de la rivière Bérézina. Celle-ci, située sur le chemin du retour a été le théâtre 100 ans auparavant : le 25 novembre 1812 exactement, d’un évènement majeur de l’époque napoléonienne.

 

Lors de la retraite de Napoléon de sa campagne de Russie avortée, ses armées se trouvent contraintes de traverser la rivière marécageuse et accidentée. L’armée russe du général Koutozov y voit bien là une opportunité d’anéantir les troupes françaises, d’autant plus que les températures en ce mois de novembre atteignent déjà les -30°C.

 

L'armée de Napoléon Bonaparte grâce à une bataille de diversion, sauve alors plus de 230.000 hommes. Grâce notamment à 2 ponts posés à la hâte, en 3 jours seulement, par les pontonniers Néerlandais du général Eblé.

 

(Pour rappel : Aux débuts de la campagne de Russie, lorsque la grande armée napoléonienne s’approche de Moscou, elle compte 680.000 hommes.)

 

En épilogue :

 

Tout le convoi fût donc sauvé. Malades, blessées ainsi que tous ceux qui les accompagnaient.

 

En route pour son foyer pendant plus de 3 mois. Il utilise le train quand c'est possible, le reste se faisant à pied et ayant pour seules fournitures de route : 4 miches de pain noir, et un petit « smaltz haffe » (pot de saindoux).

 

Enfin il arrive à Colmar vers fin janvier 1919 au plus fort d'un rude hiver. C’était un petit matin comme tous les autres mais pour lui c’est l’heure du retour.

 

Avec 3 camarades démobilisés, il rentre enfin par la "Croix Blanche", le "Tiefenbach" et aperçoit enfin la ligne bleue des Vosges. Sur les hauteurs  les trois châteaux et le Holandsbourg assis paisibles comme des gardiens du temps et des Hommes surveillent la plaine de l’Elsass.

 

Dans cette petite brume matinale, ce petit voilage bleuté cachant les bordures de la forêt, et le premier rayon de soleil, donnant un éclat d’or aux ruines des châteaux fixés sur leurs crêtes. En contre-bas, le vignoble de ses couleurs chatoyantes et hivernales rayonne de tout feu, pas de doute, ils sont de retour dans leur Alsace natale.

 

« Il sont rentrés ! » Entend-on, clamer dans les rues du village.

 

Il arrive très amaigri et à bout de force. Il n'a alors que 20 ans mais vient de vivre l’un des drames de ce début du siècle. La vie reprend alors le dessus, doucement, marié avec 4 enfants il est alors le premier chanteur à la chorale du village, sûrement une façon de s’égayer et de l’aider à tourner la page.

 

Il succède à son père (Henri Strubel : 1874-1927) au comité directoire du Crédit Mutuel du village dont son grand-père (Blaise Strubel : 1841-1920) était un des membres fondateurs.

 

Jean-Rémy Strubel (2018)

 

https://www.youtube.com/watch?v=UhHtFT3hKnA

 

http://www.crdp-strasbourg.fr/histarts/wp-content/uploads/chanson_das_elsass.pdf